La réforme de l’impôt agricole au Maroc
Agricultural tax reform in Morocco
ADEL RACHID / FACULTE DE DROIT OUJDA
ADEL Rachid
La situation économique post-protectorat a largement influencé les
orientations générales économiques du pays. En effet le secteur agricole jouait
un rôle important dans l’économie nationale, cependant ledit secteur a connu
une régression flagrante due à plusieurs facteurs notamment le remplacement du
<<Tertib>> par l’impôt agricole en 1961, ainsi que les pressions
menées par les lobbys sur les décideurs du secteur fiscal.
L’impôt agricole basé sur le revenu virtuel des propriétés agricoles ou de
l’élevage à remplacer le « Tertib »
qui n’avait pas uniquement un objectif financier. Ce pas a
marqué la fin du protectorat et le début d’une nouvelle ère. Cependant, les
recettes de l’impôt agricole se sont affaiblit par rapport aux autres recettes
fiscales jusqu’à devenir insignifiantes au début des années 1980, années
marquées par un climat très sévère et une sècheresse poignante.
Dans sa nouvelle formule, l’impôt agricole a incité le ministère des
finances à apporter de nouvelles réformes à son sujet. Cependant les efforts en
question sont tombés dans l’eau et ce encore une fois à cause des pressions
exercées par certains groupement d’où l’exonération qui a été mise en exergue
en 1984[1].
Enfin, nous pouvons considérer que l’impôt agricole à échouer pour refléter
l’effort fourni par l’État dans le cadre du développement du secteur d’activité
en question et ce à tous les niveaux d’investissement.
Suite aux 30 années d’exonérations le secteur agricole en particulier et le
monde rural en général ont connu des mutations profondes[2].
En 2014 la loi de finance a introduit de nouvelles dispositions fiscales
spécifiques au secteur agricole dont l’objectif principal était celui de mener
l’État vers une refiscalisation progressive, et surtout méthodique.
Section 1 : Etat des lieux de l’impôt agricole au Maroc
Faire un état des lieux de l’agriculture au Maroc, en rapport avec la
question de la fiscalisation de ce secteur est tout à fait nécessaire. Car
cette étape préalable doit permettre d’apprécier réellement le champ
d’application de l’impôt sur les bénéfices et les revenus agricoles et donner
un aperçu préalable sur l’ « assiette potentielle » de cette fiscalité, après
une exonération qui a duré plus d’un quart de siècle.
Sous- section 1 : Importance de l’agriculture au Maroc
Tableau 1 : Principaux
indicateurs du secteur agricole au Maroc[3]
% PIB Agricole annuel moyen/PIB |
15% |
PIB agricole en 2009 (en dh) |
115 milliards |
Investissement public dans le
secteur agricole en 2009 (en dh) |
10,5 milliards |
SAU (en ha) |
8,72 millions |
Nombre d’exploitations agricoles (en unités) |
1,5 millions unités |
Nombre d’exploitations agricoles d’une superficie supérieure
à 50 ha (en unités) |
11 000 unités |
Le PIB agricole au Maroc représente chaque année 12 à 20% du PIB global,
avec une moyenne de 15%.
En 2009, il a atteint 115 milliards de dirhams, soit une hausse de 30% par
rapport à 2005.
L’investissement public dans le secteur agricole a aussi augmenté,
atteignant 10,5 milliards de dirhams en 2009.
La superficie agricole utile (SAU) est de 8 722 223 ha avec une
prédominance du régime de la propriété privée (75,8% de la SAU) et du Collectif
(17,70% de la SAU).
Le nombre total d’exploitations dépasse les 1,5 million unités avec 11 000
grandes exploitations d’une superficie supérieure à 50 ha, soit 0,7% du total
des exploitations mais avec 15% de SAU et 18,6% de la superficie irriguée.
Alors que 50% des petits agriculteurs disposent de petites exploitations d’une
superficie inférieure à 3 ha.
§ 1. Statut juridique des terres agricoles
Le statut juridique actuel des terres agricoles est souvent cité comme un
obstacle important à la modernisation et au développement de ce secteur. En
effet, bien que la propriété privée (melk et assimilé) soit dominante, c’est la
petite propriété privée qui est prédominante avec 89,05%, ce qui réduit les
possibilités d’optimisation des facteurs de production.
Tableau 2 : Statut juridique des terres agricoles
Statut juridique |
Superficie (en ha) |
% |
Propriété privée (Melk et assimilé) |
6 618 130 |
75,79 |
Collectif |
1 544 656 |
17,69 |
Habous |
58 843 |
0,67 |
Guich |
240 441 |
2,75 |
Domaine de l’Etat |
270 153 |
3,09 |
Total |
8 732 223 |
100 |
Pour la grande propriété privée (exploitations de plus de 100 ha de SAU),
le taux des exploitations possédées en melk et assimilé est de 68,84%.
Pour les terres collectives, c’est la catégorie des exploitations de SAU de
20 à 50 ha qui est prédominante, avec un taux de 24,19%.
Pour les terres relevant du Domaine public de l’Etat, c’est la grande
propriété qui prédomine (SAU supérieure à 100 ha). Ces terres sont souvent
loués à des exploitants pour des périodes de longue durée.
La propriété privée (melk et assimilé), domine les autres statuts
juridiques. 6 provinces sur 42 (El Jadida, Khemisset, Nador, Safi, Settat et
Taounat) concentrent 2 286 592 ha, soit 34,55% du total des terres possédées en
melk.
La propriété collective vient en 2ème rang avec 1 5934 656 ha, soit 17,59%
de la SAU totale. Mais 6 provinces sur 42 ( Chichaoua, El Kelaa Essraghna,
Kénitra, Oujda, Asfi et Settat) cumulent 1 088 804 ha, soit 71% du total des
terres dites collectives. A noter que la propriété collective concerne en
particulier les exploitations de superficie moyenne de 10 à 100 ha, soit 57,10%
de la SAU du total des terres collectives.
Les terres Habous, Guich et domaniales de l’Etat concentrent 6,51% de la
SAU totale avec une tendance à la baisse due notamment à la cession des terres
domaniales[4]. Les terres
relevant du Domaine de l’Etat représentaient en 1998, 3,09% de la SAU totale, avec une concentration dans 6
provinces sur 42 (Chichaoua, El Hajeb, Kénitra, Oujda, Sidi Kacem et Taroudant)
qui cumulent 50% du total des terres domaniales. Celles-ci concernent aussi
surtout les grandes exploitations de plus de 100ha, avec 40,76% de la SAU de
cette catégorie de terres.
Les terres Guich concernent 240 441 ha, soit 2,75% de la SAU totale, avec
une concentration pour 6 provinces sur 42 (Chichaoua, Al Kalaa Esraghna, Fes,
Marrakech, Meknés et Sidi Kacem) cumulant 238 096 ha de la SAU, soit 99% des
terres Guich. La province de Marrakech, à elle seule, cumule 59,80% du total de
cette catégorie de terres. Les terres Habous ne représentent que 0,67% de la
SAU totale, soit 58 843 ha.
La concentration de cette catégorie de terres peut être observée au niveau
de 6 provinces sur 42 (Chichaoua, Fes, Larache, Marrakech, Meknes et Settat)
qui cumulent 36 650 ha, soit 62,28% du total de la SAU des terres Habous, avec
une prédominance de la province de Fes qui concentre à elle seule[5]369 ha, soit
22,71% des terres dites Habous.
§ 2. Aperçu sur les exploitants des terres agricoles.
Pour l’ensemble des exploitations agricoles, presque la moitié (45,1%) des
exploitants agricoles sont âgés de plus de 55 ans. 57,2% des exploitations de
plus de 20 ha sont gérés par des exploitants âgés de plus de 55 ans. Cette
situation est aggravée par le fait que l’analphabétisme touche 81% de la
totalité des exploitants agricoles. A peine 2,9% des exploitants de plus de 20
ha sont gérés par des exploitants ayant un niveau de formation supérieure. Le
taux le plus élevé dans le niveau d’instruction est observé dans les
exploitations de plus de 100 ha, soit 10, 8% pour cette catégorie
d’exploitation.
Le taux d’analphabétisme actuel dans les campagnes explique la difficulté
de consacrer juridiquement le régime fiscal du Résultat Net Réel, basé sur
l’obligation de tenir une comptabilité.
Cette situation ne peut pas ne pas impacter négativement le mode
d’exploitation des terres agricoles et donc leur rendement. Et c’est pour cette
raison que les pouvoirs publics ont prévu des dispositions favorisant
l’exploitation des terres agricoles domaniales par des ingénieurs agronomes.
Par ailleurs, 87% des exploitants résident sur les lieux d’exploitation.
Mais plus la superficie de l’exploitation augmente, plus ce taux diminue. En
effet, plus de 25% des exploitants d’unités de plus de 50 ha sont des non-résidents[6]. Le taux de
non résidence monte à 30% pour les exploitations de plus de 100 ha. Ainsi plus
la superficie de l’exploitation est grande, plus il s’agit d’exploitant non
résident. Le recours à des gérants est relativement important selon la SAU exploitée.
Plus celle-ci est grande, plus le recours est fréquent. Le taux de recours aux
gérants le plus élevé existe pour les exploitations de plus de 100 ha de SAU,
soit 20,9%. Pour l’ensemble des exploitations, le taux est de 3,2%[7].
Ces données permettent de constater la faible mobilisation du savoir
technique dans les petites exploitations. D’où l’urgence d’un encadrement
technique de cette catégorie d’exploitations et leur regroupement pour
optimiser le recours aux compétences qui pourraient leur être dédiées.
Certains exploitants exercent en sus de l’activité agricole des activités
non agricoles. Ceux-ci représentent 21,20% du total des exploitants, soit 316
953 exploitations. Le tableau suivant indique en % les activités non agricoles
exercées par secteur.
Tableau 4 : Activités non agricoles exercées par les exploitants agricoles
Activité |
% |
Commerce et
services |
20,5 |
Administration |
12,5 |
Professions
libérales |
6,4 |
Bâtiments et
travaux publics |
5,2 |
Pêche |
2,6 |
Artisanat |
2,3 |
Ce tableau permet de constater que de nombreux agriculteurs jouent un rôle
d’intermédiaires notamment dans la commercialisation des produits agricoles ou
leur conditionnement, en plus de leur propre activité agricole. Cette catégorie
dispose aussi souvent d’équipements agricoles importants (tracteurs,
moissonneuses… ) qu’elle loue en particulier aux petits agriculteurs (moins de
10 ha). Enfin, les 12,5% exerçant une activité administrative possèdent en
général un niveau d’instruction élevé et peuvent accéder à des facilités et à
des aides, notamment les prêts bancaires. Cette catégorie de plus de 39 000
exploitants peut aussi constituer un groupe de pression pour résister à
certaines réformes, notamment en matière fiscale.
§ 3. Comment sont exploitées les terres agricoles ?
Le nombre total d’exploitations agricoles dépasse actuellement 1,5 millions
d’unités, avec une SAU totale de 8,8 millions ha. Le nombre d’exploitations de
SAU supérieure à 50 ha est de 11011 unités en 1998, avec 3132 unités d’une SAU
supérieure à 100 ha, soit 0,7% du total des exploitations agricoles. La SAU
moyenne des grandes exploitations est de 239 ha par exploitation. L’état actuel
demeure donc caractérisé par la domination de la petite propriété, c'est-
à-dire des exploitations de superficie inférieure à 5 ha. Ces dernières
représentent 71,10% du total des exploitations, soit 1 064 418 unités selon le
dernier recensement de 1998.
14,3% des exploitations agricoles sont irriguées, soit en superficie 1,3
millions d’ha et 548 351 en unités d’exploitations. Mais ce sont surtout les
exploitations à moyenne et grande superficie (plus de 20 ha) qui bénéficient le
plus de l’irrigation. Ainsi 4% des exploitations d’une SAU supérieure à 20 ha
exploitent plus de 32% de la SAU totale irriguée. Alors que 43% des
exploitations de superficie variant de 5 à 20 ha n’exploitent que 25% de la SAU
totale irriguée.
Plus l’exploitation agricole est grande, plus les possibilités d’irrigation
sont importantes. Ainsi, pour les exploitations irriguées de superficie supérieure
à 20 ha, la SAU irriguée est de 470 385 ha, soit 32% de la SAU totale, avec une
moyenne de 17, 64 ha irrigués par exploitation. Cette moyenne atteint 90 ha
irrigués pour les exploitations ayant une superficie supérieure à 100 ha. Pour
cette dernière catégorie d’exploitations (SAU supérieure à 100 ha), 65% des
exploitations sont irriguées. Le reste est souvent situé dans les zones dites
de « bour favorable »
De manière générale, l’irrigation moderne bénéficie en particulier aux
grandes exploitations de plus de 50 ha. Les petites et moyennes exploitations
(5 à 50 ha) sont irriguées principalement à l’aide de puits et donc de
motopompes (nappe phréatique).
Le mode de faire valoir des terres agricoles est aussi important à
connaître. Le mode de faire valoir direct, c'est-à-dire l’exploitation de la
terre par le propriétaire lui-même concerne 88% de la SAU totale, alors que la
mode de faire valoir indirect concerne 12% de la SAU totale avec 4,7% en
location et 7,3% de bail en nature.
§4. Quels types de cultures ?
La culture des céréales est prédominante. Elle concerne 6,2 millions d’ha,
soit 68% de la SAU totale. Une moyenne annuelle de 12,7% de la SAU totale est
affectée à la jachère.
-
Reste un peu moins de 20% de la SAU
totale affectée aux autres cultures, soit :
·
8,8% de la SAU totale pour
l’arboriculture fruitière ;
·
2 à 3,4% de la SAU totale pour les
légumineuses alimentaires avec une concentration au niveau des petites et
moyennes exploitations de 5 à 20 ha ;
les cultures fourragères couvrent 2,2% de la SAU totale avec une
concentration dans les très petites exploitations de moins de 3 ha et dans les
grandes exploitations de plus de 100 ha ;
Le maraîchage et les cultures industrielles (canne à sucre et betterave à
sucre) représentent respectivement 2,5% et 3% de la SAU totale avec une
concentration dans les petites et moyennes exploitations de 5 à 50 ha ;
Les plantations fruitières représentent 3% de la SAU totale avec une
concentration dans les petites exploitations de 1 à 3 ha (11%) et dans les
grandes exploitations de plus de 100 ha (17%).
Le taux moyen de la jachère varie selon la superficie de l’exploitation. Il
est de 7% pour les petites exploitations de moins de 5 ha à 17% pour les
grandes exploitations de plus de 50ha.
Par ailleurs, une relation étroite existe entre les conditions naturelles
et l’activité agricole exercée.
Dans le bour favorable, c'est-à-dire les collines et les plaines à
pluviométrie supérieure à 400 mm, et les grands périmètres irrigués,
prédominent les maraîchages, les agrumes et les autres arbres fruitiers ainsi
que dans une moindre mesure les légumineuses. Cette catégorie (bour favorable
et grands périmètres irrigués) représente le tiers de la SAU, 25% des
exploitations mais 64% du total irrigué[8].
Les zones de bour défavorable sont des zones agricoles difficiles (plaines
et plateaux agricoles semi arides, montagnes et steppes, zones oasiennes).
Celles-ci représentent ¾ des exploitations, 2/3 de la SAU mais à peine 36% de
la SAU irriguée.
Ainsi, ce sont surtout les petites et moyennes exploitations de 5 à 50 ha
qui cultivent les céréales, soit 63,07% de la SAU affectée aux céréales (3 921
144 ha), selon le dernier recensement de l’agriculture de 1998. Les chiffres
récents sont proches3. En 2010, ce taux a été de 62,5%.
C’est aussi le cas des légumineuses, avec 171 210 ha, soit 67,13% de la SAU
affectée à ce type de cultures.
Pour la même catégorie de classes, la culture de maraîchage est de 60% de
la SAU affectée à ce type de cultures (144 338 ha).
En restant dans cette catégorie de classes (5 à 50 ha), on constate que les
oléagineuses atteignent un taux de 56,52% de la SAU affectée à ces cultures (64
646 ha). Les exploitations de plus de 100 ha cultivent plus de 12,5% du total
de leur SAU à ce type de cultures.
Les cultures fourragères sont aussi concentrées dans cette catégorie de
petites et moyennes exploitations avec 53,15% de la SAU affectée à ces cultures
(109 254 ha).
Les plantations fruitières, pour la même catégorie d’exploitations,
représentent 51,28% de la SAU affectée à ces cultures (416 694 ha), avec, en
deuxième position, la catégorie d’exploitations de plus de 100 ha, soit 18,11%
de la SAU affectée à ces plantations (147 167 ha). Les 5 classes
d’exploitations dont la superficie varie de 5 à 100 ha cumulent 609 400 ha,
soit 75% de la SAU y affectée[9].
Pour les cultures industrielles, c'est-à-dire la betterave à sucre et la
canne à sucre, ce sont les petites exploitations de 1 à 10 ha qui cumulent
62,18% de la SAU affectée à ce type de cultures (108 028 ha). Si l’on ajoute
les exploitations de 10 à 20 ha, ce taux atteint 78,26% (135 962 ha). Pour les
plantations fruitières, les taux les plus élevés sont observés dans les micro
exploitations de moins de 1 ha, soit 14,7% de la SAU propre à cette classe
(micro exploitations de superficie inférieure à 1 ha), ainsi que dans la
catégorie des exploitations de plus de 100 ha,
soit 16,5% de la SAU propre à cette catégorie.
Pour la jachère, le taux le plus élevé est observé pour la catégorie des
exploitations de plus de 100 ha, soit 17,6% de la SAU propre à cette catégorie,
au moment où la moyenne pour toutes les exploitations est de 12,7%.
Le choix des cultures n’est pas toujours déterminé par un objectif de
rendement. Ce choix est aussi souvent influencé par d’autres facteurs,
notamment la disponibilité ou non des ressources hydrauliques, la fertilité du
sol, la superficie cultivable, le degré de mécanisation, les habitudes
alimentaires de la région…Néanmoins, le rendement des terres agricoles est le
principal critère pouvant révéler dans cette étude les capacités contributives
théoriques mais réelles des exploitants agricoles et permettre ainsi
d’envisager les meilleures voies pouvant mener vers une fiscalisation équitable
du secteur agricole.
Les indications relatives au rendement des cultures agricoles, en termes de
production et de valeur à l’hectare, permettent de comparer notamment les
cultures à faible valeur ajoutée et celles à haute valeur ajoutée.
§ 5. Quels moyens sont utilisés pour l’exploitation des terres agricoles ?
Le parc national de tracteurs recensés en 1998 est de 43 226 unités. Ce
parc est détenu par 35 620 exploitations, soit 2,50% du total des exploitations
agricoles et 5,62% des exploitations irrigables. Ces chiffres permettent de
constater de manière générale la faible modernisation de l’agriculture au
Maroc. La moyenne est de 120 tracteurs pour 100 exploitations ou 1,2 pour
chaque exploitation, ou encore une moyenne d’un tracteur pour 202 ha de SAU
(voir ci-contre tableau 11)[10].
Mais 62% de ce parc est concentré au niveau de la catégorie des moyennes et
grandes exploitations de plus de 20 ha. En effet, pour cette catégorie
d’exploitations, la moyenne est de un tracteur par 136 ha alors que la moyenne
pour les petites exploitations de 1 à 5 ha est de un tracteur par 381 ha.
Par contre, pour les motopompes, ce sont surtout les petites et moyennes
exploitations de moins de 20 ha qui concentrent 85% du total (154 223 unités).
Les grandes superficies bénéficient en particulier des techniques d’irrigation
modernes et intensives que permettent les barrages.
Le taux de mécanisation des travaux du sol et celui des moissons est aussi
élevé et concentré dans les grandes exploitations de plus de 100 ha, avec
respectivement 90% (travaux du sol) et 80% (moissons). L’utilisation intensive
de l’engrais, des semences sélectionnées et des produits phytosanitaires
augmente aussi avec la taille de l’exploitation.
Ainsi, ce sont surtout les grandes exploitations de plus de 50 ha qui
bénéficient de la grande irrigation assurée par les barrages, de l’équipement
souvent subventionné par l’Etat et exonéré en matière de TVA, et de manière
générale des principaux moyens et facteurs de production[11].
§6. Qu’en est-il de
l’élevage ?
Pour l’élevage bovin, avec un effectif total de 2,5 millions de têtes
répartis sur 768 960 éleveurs, avec une concentration dans les exploitations
dont la SAU est inférieure à 20 ha, soit 88,80% du total du cheptel.
Classe-taille |
Nombre d'exploitations |
Variation % |
|
1973-74 |
1996-97 |
||
0 – 1 |
438 770 |
62 470 |
-86 |
1 – 3 |
339 970 |
214 377 |
-37 |
3 – 5 |
332 020 |
311 325 |
-6 |
5 – 10 |
177 310 |
175 213 |
-1 |
10 – 20 |
192 060 |
190 169 |
-1 |
20 – 50 |
101 810 |
99 249 |
-3 |
50 – 100 |
39 720 |
38 868 |
-2 |
+ 100 ha |
8 700 |
8 452 |
-3 |
Total |
1 630 360 |
1 100 123 |
-33 |
Tableau 12 : Evolution du
nombre d'exploitations pratiquant l'élevage
Source : Recensement général de l’agriculture, 1998.
La moyenne nationale est de 3,1 têtes par éleveur avec 3,49 pour les
exploitations de 5 à 10 ha et 21,81 pour les exploitations de plus de 100 ha.
La race pure avoisinant les 300 000 têtes au niveau national est détenue en
particulier par les grandes exploitations. Ces dernières concentrent aussi
l’élevage intensif ou élevage industriel, contrairement aux petites exploitants
petits propriétaires de moins de 5 ha ou sans terre qui s’appuient
essentiellement sur le pâturage (terrain de parcours).
L’effectif total des ovins est de 17 millions de têtes, avec une moyenne
nationale de 22 têtes par éleveur. La moyenne nationale est de 21,40 têtes par
éleveur. Mais contrairement aux bovins, ce sont les éleveurs sans terre qui
détiennent la moyenne la plus élevée avec 30,68 têtes par éleveur.
L’effectif total des caprins est aussi important, avec à peu près 6
millions de têtes détenus en particulier par les éleveurs sans terre. C’est
dire l’importance des terres de parcours, avec le risque important pour ce type
d’élevage d’entamer la flore forestière. Les camelins, d’un effectif de plus de
150 000 têtes, sont détenus en particulier par les grands éleveurs au Sud du
Maroc.
Les animaux de trait (chevaux de trait, mulets et ânes) sont possédés en
particulier par les petites exploitations dont la superficie est inférieure à
20 ha. Ces animaux remplacent souvent la force mécanique (labour,
transport…).
L’apiculture, activité qui a connu un développement important, est
constituée de presque 500 mille ruches dont à peu près 20% sont des ruches
modernes. Les exploitations de moins de 20 ha concentrent 90% des ruches.
L’élevage des abeilles demeure une activité pratiquée principalement dans
les petites exploitations avec des méthodes traditionnelles malgré
l’introduction récente des techniques modernes
§7. Quelle évolution de
l’agriculture marocaine ?
Le nombre d’exploitations, en particulier les petites exploitations, à
tendance à diminuer alors que la SAU a tendance à augmenter et à se concentrer.
Tableau 14 : Principales
catégories d'exploitations: effectifs et parts dans le total[12]
Exploitations |
Nombre |
% |
SAU totale |
% |
SAU irriguée |
% |
Grandes Exploitations |
28 000 |
1.9 |
1 800 000 |
21.5 |
390 000 |
31 |
Petites
et Moyennes Exploitations |
821
600 |
56.7 |
5
998 000 |
70.0 |
801
000 |
64 |
Micro-exploitations |
600
000 |
41.4 |
744
900 |
8.5 |
60
000 |
5 |
Total |
1
449 600 |
100 |
8
542 900 |
100 |
1
251 000 |
100 |
En 22 ans, de 1976 à 1998, la baisse du nombre d’exploitations a été de
22%, passant de 1 927 200 unités à 1 496 300 unités, soit une moyenne annuelle
arithmétique constante de 19
586,36, c'est-à-dire 1% par an7.
En appliquant le taux de décroissance moyen pour cette période, le nombre
d’exploitations devrait atteindre, en 2010, 1 339 712 unités.
La baisse concerne en particulier les « exploitants sans terre » dont la
chute a été brutale, en particulier pendant les périodes de sécheresse (450 200
à 64 700 pour la période 1976 à 1998)8. Le nombre d’exploitations dont la SAU
est inférieure à 1 ha a connu une baisse de 30%. Ce sont surtout les petites et
moyennes exploitations dont la SAU est de 5 à 20 ha qui ont connu une
augmentation importante de 13% en nombre d’exploitations et de 25% en SAU.
L’irrigation des terres agricoles a connu un progrès important. La SAU
irriguée est passée de 725 000 à 1 251 450 ha (de 1976 à 1998), soit un taux de
croissance de 72% et une croissance moyenne annuelle constante de 29 930 ha.
Mais ce ne sont pas toutes les exploitations qui ont bénéficié de ce progrès.
Le nombre d’exploitations irriguées est passé de 512 060 à 548 349, soit un
taux de croissance de 7% et une moyenne annelle de 1650 unités. Ce sont surtout
les grandes exploitations qui ont bénéficié de l’accès aux ressources
hydriques.
Le recours aux machines agricoles est devenu plus fréquent, en particulier
pour les exploitations de SAU de plus de 50 ha. Ainsi, le
nombre de tracteurs est passé de 15 600 à 43 226, soit un taux moyen annuel
d’accroissement de 8%. La moyenne de la SAU par tracteur est passée de 477 ha à
202 ha.
Le nombre de moissonneuses batteuses est passé de 1524 à 3763, soit un taux
moyen d’accroissement annuel de 6,7%.
Mais c’est surtout le recours aux motopompes qui a connu un grand bond en
avant. Le nombre est passé de 3 899 à 153 223 unités pour la même période 1974
à 1996, soit 6833 unités par an plus de 38 fois, avec un taux de croissance
annuelle moyen de 175%. Actuellement, le recours aux motopompes est quasi généralisé,
voire excessif par rapport aux stocks de ressources hydriques, pour les petites
et moyennes exploitations d’une superficie de 5 à 20 ha.
De manière générale, le recours à la mécanisation des travaux agricoles est
passé d’un taux de 22% pour l’ensemble des exploitations à 45%. 51% des
exploitations ont utilisé des engrais en 1996.
Enfin, le recours à la MOSP s’est intensifié, se multipliant par 20. Le
nombre d’exploitations recourant à la MOSP est passé de 4231 unités en 1974 à
80 269 unités en 1996. Néanmoins, les progrès de la mécanisation se traduisent
souvent dans les moyennes et grandes exploitations par le recours à une main
d’œuvre qualifiée et l’abandon des travaux manuels faisant appel à une main
d’œuvre nombreuse, moins qualifiée et souvent saisonnière
Section 2 : Evolution de la politique agricole au Maroc et le cheminement
de la réforme.
La politique agricole au Maroc a connu d’importants changements depuis
l’indépendance et jusqu’au jour d’aujourd’hui, ces changements sont dus aux situations
économiques, sociales, politiques et climatiques. En effet plusieurs plans ont
été élaborés pour servir le secteur agricole, notamment le plan du gouvernement
Abdallah Ibrahim (1960/1964) qui a été retardé à cause des changements
politiques que connaissait le pays au cours de cette période. Jusqu’au plan
Maroc Vert qui représente la stratégie façonnée par l’État pour ledit secteur.
Sous-section 1 : L’évolution de la politique agricole.
Pendant le protectorat le Maroc connaissait deux exemples de la production
agraire :
·
Le premier exemple reposait sur des
techniques modernes, contemporaines, adoptées par les représentants du système
colonial qui dominaient les terres de façon illégale et exploitaient les
agriculteurs.
En 1913 les européens détenaient plus de 100.00 hectares au Maroc,
représentant principalement des terres de grande fertilité. Ces terres ont été
obtenues de manières frauduleuses, et elles étaient distribuaient ainsi :
- 60.000 hectares à La
Chaouia entre les mains d’une centaine de colonisateurs, et 400.000 hectares
dans la région de Rabat et l’Ouest, reparti entre des colonisateurs et une
société qui détenait entre 10 à 15.000 hectares et 10.000 hectares à Doukkala
et Abda partages entre 10 représentants colonisateurs et les sociétés. Enfin
45.000 hectares au Maroc du Nord dont 7000 hectares à Matrouh, 16.000 hectares
à la plaine Angad, et 20.000 hectares à la plaine de Trifa près de Brkane et
Ahfir21[13].
·
Le deuxième exemple quant à lui
reposait sur des techniques traditionnelles de production qui étaient
responsables de la marginalisation du secteur agricole, et dont l’activité
principale exercée par les habitants des montagnes
se limitait à l’élevage. D’ailleurs, les agriculteurs ont dû associer deux
fonctions, la première consistait à travailler dans leurs propres fermes et la
deuxième consistait à travailler pour les colonisateurs.
§ 1 : L’évolution de la politique agricole
À la fin du protectorat, l’État marocain s’est retrouvé face à une vague de
fuite des capitaux étrangers, ce qui par conséquent a fait l’abandon du premier
plan économique ainsi que du gouvernement Abdallah Ibrahim. Après quoi l’État
s’est retrouvé dans l’obligation de financer les grands propriétaires par
divers moyens notamment les dettes, les prêts et les aides, et ce pour
construire dans un premier temps la légitimité de l’État et ensuite construire
le secteur agricole.
À cette époque précise les agriculteurs petits et grands ont fait entendre
leur voix, revendiquant la réalisation d’un développement qui les rassemble
tous ; malheureusement les autorités concernées ne voyaient que côté
quantitatif du secteur agricole.
L’objectif de l’État était celui d’accroitre le niveau de rentabilité,
ainsi exporter plus vers l’Europe -principalement- tout en préservant la
situation sociale primitive dans les régions rurales[14].
Les autorités publiques se sont basées sur les recommandations de la banque
mondiale (1965), en se focalisant dans un premier temps sur l’investissement
dans le secteur de l’irrigation pour garantir des conditions disons objectives
des exploitations (cultures) de grande rentabilité.
L’État a poursuivi ses interventions dans le domaine agricole en
intensifiant les investissements publics ; en accordant des aides aux
agriculteurs ; en encadrant et en offrant des prêts. Cette politique a donné
ses fruits du moins pour ce qui est des infrastructures, puisque le nombre de
barrages et de terres irriguées a doublé ; il y a eu également au niveau de
productivité le développement de la production des betteraves sucrières ;
légumes ; fruits ; produits laitiers ; huiles …
Ce n’est qu’à ce moment que la distinction entre politique de modernisation
et politique d’export est devenue abordable. Dans le cadre de la première
politique nous retrouvons une partie importante consacrée à l’agriculture
consommable au niveau local (sucre ; lait…), cependant ladite politique
moderniste a déraillée jusqu’à
devenir une politique d’export, ce qui est dû aux avantages climatiques
dont dispose le Maroc, mais aussi à sa proximité géographique des marchés
européens. De ce fait, plusieurs politiques ont été mises en œuvre pour
encourager l’export ; d’ailleurs le crédit agricole s’est engagé dans ce même
sens grâce à une aide de la banque mondiale.[15]
Toute cette évolution qu’a connue le secteur agricole nous a menée vers la
pauvreté, la marginalisation et l’immigration.
Les autorités publiques ont fourni plusieurs efforts dans le but de
résoudre cette problématique, et ce par le plan ambitieux de 1973-1977 qui
contenait des procédures et des mesures visant la redistribution des terres
récupérées aux agriculteurs, mais aussi la création des deux sociétés : SODEA ;
SOGETA. Ainsi
agriculteurs ont bénéficié de 320.000 hectares de terre[16],
il n’est question que de 2% des habitants des fermes agricoles qui ont été
recensés.
Ce plan a fini par tomber dans l’eau lorsqu’il a été confronté à la
régression du prix du phosphate dans le marché international ; ainsi qu’aux
dettes dont l’État était redevable. Ces deux éléments ont forcé le pays à
abandonner le plan 1973-1977 et à adopter une politique d’austérité[17].
Visiblement, au cours des années 70 l’État s’intéressait plus à la
croissance économique qu’au développement économique.
Le plan d’ajustement structurel de 1983 a finalement causé une vague
d’exode rural d’une dizaine de milliers de citoyens pour s’implanter finalement
dans des zones urbaines ; ce qui a causé des turbulences sociales pendant
1981-1984-1990.
[1] - Hasnae AMHAOUCH, le role de l’investissement dans le
développement agricole au Maroc, mémoire pour l’obtention de DESA en droit
public, université mohammed 5 FSJES Agdal, 2007, p.79
[2] Fiscalisation du secteur Agricole, service de recherche
et développement, Abdelaziz Messaoudi, Juin 2014
[3] - Les données statistiques exploitées proviennent
principalement du recensement réalisé en 1998 par le Ministère de l’Agriculture
et de la Pêche Maritime, avec une actualisation, chaque fois que cela a été
possible, grâce aux publications de ce Ministère, ou bien sur la base de
calculs de moyennes arithmétiques pondérées à partir de la croissance observée
sur la décennie 2000 à 2012
[4] - Fiscalisation du secteur Agricole, service de recherche
et développement, Abdelaziz Messaoudi, Juin 2014
[5] - Rapport du Ministère de l’Agriculture et des Pêches
Maritimes.2009, In. http://www.agriculture.gov.ma/pages/rapports- statistiques/annee-agricole-septembre-2013
[6] - le rapport sur
l’agriculture marocaine 2012 en chiffre, p. 13, In. http://www.agriculture.gov.ma/pages/focus/lagriculture-marocaine-en- chiffre-2012
[7] Ibid. P.11
[8] - Données recueillies à partir du recensement de 1998,
actualisées sur la base du taux moyen de croissance annuelle. Actualisation
confirmée par le rapprochement avec les données statistiques communiquées par
les services du Ministère de l’Agriculture et des Pêches Maritimes.
[9] - Ministère de l’Agriculture et des Pêches Maritimes. «
L’agriculture marocaine en chiffres ». 2010.
[10] - Ministère de l’Agriculture et des Pêches Maritimes. «
L’agriculture marocaine en chiffres ». 2010.
[11] - Facteurs de production : mécanisation des travaux du
sol ; mécanisation de la moisson ; utilisation des engrais ; utilisation des
semences sélectionnées et utilisation des produits phytosanitaires.
[12] - Pour une Stratégie de Développement à Long terme de
l'Agriculture Marocaine, Colloque National de
l'Agriculture et du Développement Rural, Ministère de l'Agriculture, du
Développement Rural et des Pêches Maritimes, Rabat, 19-20 juillet 2000.
[13] - Abdesalam ADIB, le plan Mackenzi et l’agriculture au
Maroc, In. Revue point de vue, 2014, p.19
[14] - Abdesalam ADIB, Op.cit, p. 20
[15] - Voir infra, Page 17
[16] - Youcef AIT SGHIR, étude comparative sur les politiques
agricultures à l’aube des parties politiques de 1997, mémoire pour l’obtention
de DESA en droit public, Université Mohammed 5 FSJES Agdal, Rabat, 2000, p.56
[17] - Akesbi BENTAYA, l’agriculture marocaine à l’épreuve de
la libération, Ed. Economie critique, Rabat, 2008, p. 47