La protection
juridique des consommateurs au Maroc : une lecture juridique à l’ère du marché
libéralisé
Karima EZZIYANI
Docteure en droit privé, Université Sidi
Mohamed Ben Abdellah, Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales
- Fès.
The legal
protection of consumers in Morocco: a legal reading in the era of the
liberalized market
Karima EZZIYANI
Résumé
La protection du consommateur au
Maroc s’impose aujourd’hui comme un enjeu juridique crucial face à l’expansion
du marché libéralisé et à la multiplication des pratiques commerciales
déloyales. Bien que le législateur ait instauré des textes fondamentaux, tels
que la loi 31-08, leur application demeure inégale et parfois inefficace,
notamment en raison du manque de sensibilisation, de la complexité des recours
et de la faiblesse des contrôles.
Cette étude montre que la simple
adoption de normes ne suffit pas. Une véritable protection du consommateur
nécessite un engagement institutionnel fort, un cadre judiciaire accessible et
une implication active de la société civile. L’adaptation du droit aux
mutations économiques et technologiques constitue ainsi une condition
essentielle pour garantir un équilibre équitable dans les relations de
consommation.
Introduction
Le droit de la
consommation représente l’ensemble des dispositions qui régissent les relations
des consommateurs avec les professionnels[1]. Il
s’entend aussi comme un ensemble de règles destinées à protéger la partie
faible du contrat, en l’occurrence le consommateur, dans un cadre économique
marqué par la complexité et l’asymétrie des rapports contractuels. En ce sens,
la loi 31-08 édictant des mesures de protection du consommateur s’érige comme
une réponse aux limites de la théorie classique du contrat. Par la consécration
de droits fondamentaux dans un texte spécifique, le législateur marocain a
entendu garantir un équilibre contractuel[2] plus
juste.
Cette loi se
veut ainsi un moyen d’assainir les relations entre consommateurs et
professionnels[3],
en les plaçant sous le sceau de la transparence, de l’information et de la
responsabilité. Contrairement au droit des affaires, qui vise à réguler la vie
des entreprises et les rapports entre opérateurs économiques, le droit de la
consommation se distingue en tant que droit spécial à visée sociale. Il
s’inscrit dans une logique de rééquilibrage structurel, visant à corriger les
déséquilibres systémiques entre contractants[4].
Par ailleurs,
la sécurité juridique, principe fondamental dans toute société de droit[5],
suppose la protection des relations de consommation contre les abus. Cela passe
par un encadrement juridique rigoureux, mais également par la possibilité de
recours effectifs en cas de violation des droits du consommateur.
Le cadre
juridique sur lequel s’appuie cette étude inclut non seulement la loi 31-08,
mais aussi la loi 43-12 relative à l’Autorité marocaine du marché des capitaux.
Cette dernière œuvre à encadrer et surveiller les activités du marché
financier, en veillant à sa transparence et à son bon fonctionnement, dans le
but ultime de protéger le consommateur.
Cependant, dans
un monde économique et commercial en constante évolution, le consommateur se
trouve confronté à des pratiques commerciales déloyales[6] de
plus en plus complexes : fraude, publicité mensongère, vente forcée, démarchage
agressif, exploitation de la vulnérabilité. Face à ces dérives, le droit pénal
intervient comme un instrument de protection des consommateurs. En
criminalisant certaines pratiques nuisibles, il contribue à renforcer la
confiance dans le marché, à garantir l’équité des transactions et à
responsabiliser les professionnels[7],
et le droit de la
consommation vient ici pour but de préserver la partie faible de la partie
forte par l’instauration des règles de défense de leurs intérêts. Il s’agit
d’un droit spécial en raison de ses sujets, comme il se différencie des autres
droits qui sont circonscrits en fonction de leur objet[8].
Dans ce
contexte, une question centrale se pose :
Dans quelle
mesure le droit marocain protège-t-il efficacement le consommateur face aux
abus d’un marché libéralisé ?
Afin de
répondre à cette problématique, il convient d’examiner, dans un premier temps,
les dispositifs juridiques encadrant la protection du consentement du
consommateur face aux pratiques commerciales abusives, notamment l’abus de
faiblesse, le démarchage agressif et la vente forcée.
Dans un second
temps, l’analyse portera sur les mécanismes juridiques et institutionnels mis à
la disposition du consommateur pour faire valoir ses droits, notamment le droit
de rétractation, les recours en remboursement, ainsi que le rôle des autorités de
contrôle et des acteurs de la société civile.
I.
La protection juridique du
consentement du consommateur
La
protection du consommateur ne se limite pas à la qualité des produits ou à la
transparence des prix : elle concerne également la manière dont le consentement
est sollicité et obtenu. Face à l’évolution des techniques de vente, souvent
marquées par des pratiques intrusives ou manipulatrices, le législateur
marocain s’est efforcé de poser un cadre juridique garantissant un consentement
libre et éclairé. Cette première partie se propose d’examiner les principaux
dispositifs légaux mis en place pour encadrer les pratiques commerciales
abusives, notamment l’abus de faiblesse (1), le démarchage agressif et la vente
forcée (2), afin de préserver la volonté libre du consommateur.
- L’abus de faiblesse
La
protection juridique du consentement des consommateurs[9] est
un aspect essentiel du droit de la consommation. L'abus de faiblesse, qui
survient lorsqu'une personne profite de la vulnérabilité d'un consommateur pour
obtenir son consentement à une transaction de manière trompeuse ou abusive,
constitue une violation grave de cette protection. Bien que la législation
marocaine ne définisse pas explicitement l'abus de faiblesse, elle encadre
strictement les pratiques commerciales déloyales et protège les consommateurs
contre les manœuvres visant à altérer leur consentement.
- Le cadre juridique de la
protection du consentement des consommateurs au Maroc
La loi n°31-08, vise à protéger les consommateurs contre les pratiques
commerciales abusives et à garantir que leur consentement soit libre, éclairé
et non vicié par des manipulations. Selon cette loi, toute transaction qui
repose sur un consentement vicié, comme dans le cas de l’abus de faiblesse, est
considérée comme illégale.
A travers les garanties légales, comme celles de conformité des produits et
des vices cachés auxquelles la nouvelle loi sur la protection du consommateur
ajoute les garanties conventionnelles pouvant être proposées par le vendeur,
dont certaine peuvent être qualifiée de « révolutionnaires » dans la mesure où
la « faiblesse » et l'
« ignorance » du consommateur sont prises en considération par cette
loi. Un abus de faiblesse ou d'ignorance rend « nul par la force de la loi
tout engagement auquel il donne naissance ». Le consommateur, victime d'un tel
abus « se réserve le droit de se faire rembourser les sommes payées et
d'être dédommager sur les préjudices subis»[10].
Dans
un arrêt de la Cour de cassation française[11]
contre un arrêt de la Cour d'appel de Rennes[12], la
cour a qualifié l'abus de faiblesse comme un abus frauduleux de l'état
d'ignorance et la situation de faiblesse d'une personne particulièrement
vulnérable.
Le
consentement du consommateur doit donc être obtenu sans pression indue, sans
tromperie et dans des conditions permettant une décision éclairée.
- Les pratiques
commerciales abusives et l'abus de faiblesse
L’abus
de faiblesse se manifeste de différentes manières, et peut prendre plusieurs
formes dans le cadre des transactions commerciales. Parmi les pratiques les
plus courantes, on trouve :
Manipulation
psychologique ou mentale : lorsqu’un vendeur ou prestataire de services
exploite la situation de vulnérabilité d'un consommateur, par exemple en jouant
sur ses peurs, ses désirs ou son manque d’informations.
La
jurisprudence française est très riche en matière d’abus de faiblesse. À ce
titre, et pour illustrer ce principe, on peut citer plusieurs arrêts
significatifs :
La
Cour de cassation française a confirmé la qualification d’abus de faiblesse
dans le cas où un professionnel avait fait signer, au domicile d’une
consommatrice enceinte et mère d’un enfant asthmatique – tous deux d’origine
mauricienne et maîtrisant mal la langue française – un bon de commande relatif
à l’aménagement de leurs combles pour un montant de 94 000 francs[13].
Le 9
novembre 1994, la Cour d’appel de Paris[14] a
condamné pour abus de faiblesse un professionnel ayant contracté avec un
consommateur dont une expertise, ordonnée par la cour, avait révélé une
altération des facultés mentales au moment des faits.
Le 2
novembre 1995, la Cour d’appel de Grenoble[15] a
statué que la vente à une personne âgée de 85 ans de plusieurs appareils
identiques, pour un montant de 25 000 francs, constitue également un délit
d’abus de faiblesse.
L’inutilité
manifeste de la commande permet généralement de présumer l’abus de faiblesse :
on peut citer à ce titre l’exemple de l’acquisition, par une personne vivant
dans une maison dépourvue de tout confort, d’un système d’alarme[16].
Vente
forcée ou pressurisation : lorsque le consommateur est contraint de prendre une
décision d'achat de manière précipitée, souvent sans le temps de réfléchir ou
d'obtenir les informations nécessaires, c’est le cas d’un professionnel qui a
été condamné pour complicité d’abus de faiblesse après avoir fait intervenir un
démarcheur non déclaré au domicile d’une femme âgée de 83 ans, présentant des
troubles de mémoire et une confusion entre francs et euros. Le contrat portait
sur l’achat de tapis, et les juges ont relevé que la victime n’était pas en
mesure de comprendre la portée de son engagement ni de déceler les manœuvres
employées. La Cour a confirmé la condamnation en insistant sur la vulnérabilité
manifeste de la consommatrice[17].
Publicité
trompeuse ou mensongère : la diffusion de fausses informations pour inciter le
consommateur à acheter des produits ou services qu’il n’aurait pas choisis s’il
avait été pleinement informé, c’est le cas bien évidemment d’un éditeur de
logiciels qui avait apposé la mention "approuvé par un laboratoire de
tests" sur ses emballages, alors que les tests n'avaient pas été réalisés
par des laboratoires officiels. La cour
a jugé que cette mention laissait subsister une ambiguïté sur la nature du
contrôle, constituant ainsi une publicité trompeuse[18].
Et
Aussi le cas d’une parfumerie qui avait indiqué dans une publicité la mention
"prix sacrifiés" tout en réalisant une marge d'environ 28% sur ces
produits. La cour a considéré que la
notion de "sacrifice" devait signifier, pour un consommateur, que la
vente s'effectuait à un prix proche du prix coûtant, et a donc sanctionné cette
publicité comme trompeuse[19].
Exploitation
de la précarité ou de la dépendance : certains consommateurs, en particulier
ceux en situation de pauvreté ou de dépendance, peuvent être poussés à accepter
des offres de crédit abusives ou des contrats désavantageux.
La
cour d’appel de Douai a jugé que le fait d’être atteint de surdi-mutité ne
permet pas à lui seul de conclure à un abus de faiblesse de la part d’une
banque ayant fait signer une offre de crédit à la consommation. Il faut démontrer que le consommateur n’était
pas en mesure d’apprécier la portée de ses engagements ou de déceler les ruses
employées[20].
Ainsi,
la cour d’appel de Rennes a considéré comme abusive une clause de résiliation
anticipée dans un contrat de crédit à la consommation, qui permettait au
prêteur de résilier le contrat pour des motifs étrangers au contrat de crédit,
tels que l’invalidité de l’emprunteur ou son installation définitive à
l’étranger. Cette clause créait un
déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au
détriment du consommateur[21].
Bien
que la loi n° 31-08 ne définisse pas explicitement les consommateurs
vulnérables, elle prévoit des mesures de protection renforcées pour les
personnes susceptibles d'être en situation de faiblesse[22],
telles que les personnes âgées, les personnes en situation de handicap ou les
consommateurs en difficulté économique.
Par exemple, des délais de rétractation plus longs peuvent être accordés[23],
et les pratiques commerciales agressives[24],
comme le démarchage ou la vente forcée, sont spécifiquement interdites à leur
égard.
- Recours en cas d’abus de
faiblesse
Lorsqu’un
consommateur pense avoir été victime d’un abus de faiblesse, il peut exercer
plusieurs recours. Il peut tout d'abord tenter de résoudre le litige
amiablement avec le vendeur ou le prestataire de services. Si cela échoue, il
peut saisir les tribunaux compétents pour demander l’annulation du contrat ou
obtenir des réparations.
Arrivée
à ce point on peut dire que l’abus de faiblesse est une pratique illégale qui
porte atteinte à la liberté de consentement des consommateurs. La législation
marocaine, notamment la loi n°31-08, offre un cadre juridique solide pour
protéger les consommateurs contre les manipulations commerciales et garantir
qu'ils prennent des décisions éclairées. En cas d’abus, des recours sont
prévus, et des sanctions sévères peuvent être appliquées. Les consommateurs
vulnérables bénéficient d’une protection particulière pour les aider à éviter
d’être exploités dans des situations de fragilité. Ainsi, la législation
marocaine œuvre à garantir une relation commerciale juste et équilibrée, où le
consentement des consommateurs est respecté.
- Le démarchage agressif et
la vente forcée
Au
Maroc, la législation relative à la protection des consommateurs a pour
objectif de garantir que leur consentement aux transactions commerciales soit
libre, éclairé et non vicié par des pratiques abusives. Parmi les pratiques
commerciales interdites, le démarchage agressif et la vente forcée figurent en
bonne place, car elles altèrent la liberté de choix des consommateurs et
compromettent la transparence des transactions. Ces comportements sont
strictement encadrés par la loi n°31-08 relative à la protection des
consommateurs[25],
qui interdit toute forme de pression excessive sur le consommateur pour obtenir
son consentement.
- Le démarchage agressif :
une pratique interdite
Le
démarchage agressif se définit par l'utilisation de techniques commerciales
intrusives et persistantes pour obtenir l'adhésion d'un consommateur. Cette
forme de démarchage implique souvent des sollicitations répétées, des appels à
des horaires inappropriés, ou l'usage de pressions psychologiques pour
contraindre le consommateur à prendre une décision rapide. L'objectif est de
pousser ce dernier à accepter une offre sans lui accorder le temps nécessaire
pour réfléchir ou comparer d'autres options.
Les
pratiques de démarchage agressif peuvent inclure :
-
L'appel téléphonique à des heures tardives ou
indésirables.
-
L’insistance de la part du vendeur, parfois à la
limite du harcèlement, pour pousser à l'achat.
-
La présentation d’offres faussement avantageuses,
avec des informations manquantes ou trompeuses, afin d'inciter rapidement à
l'acceptation d’un contrat.
Il
faut noter toutefois que le droit français avec la loi du 21 juin 2004, le
législateur s'est penché sur le démarchage par téléphone qui en tant que
technique de vente à distance entre dans le champ d'application des articles
L.121-16 et suivants du code de la consommation qui prévoient, comme pour le
démarchage, un délai de rétractation. La cour de Cassation en effet, a admis
que tout contrat conclu dans un magasin où le consommateur s'était rendu suite
à un démarchage téléphonique, entrait dans le cadre de la règlementation sur le
démarchage. La Haute juridiction française visait en l'occurrence le
déplacement d'un client venu en magasin retirer le cadeau qui lui avait été
proposé par téléphone[26].
Ce n'est pas le lieu de vente qui a retenu ici l'attention des juges, mais le
procédé commercial employé.
Au
Maroc, ces pratiques sont interdites par la loi n°31-08, qui protège les
consommateurs contre toute forme de manipulation ou de pression. En cas de
démarchage agressif, le consommateur bénéficie d'un droit de rétractation de 7
jours à compter de la signature du contrat, ce qui lui permet d'annuler sans
justification sa décision d'achat[27].
- La vente forcée : Une
violation de la liberté de consentement
La
vente forcée se produit lorsque le consommateur est contraint d'acheter un
produit ou un service, souvent sous la menace d'une vente liée ou d'une offre
conditionnée. Par exemple, un consommateur peut être obligé d'acheter un
produit supplémentaire, inutile ou indésirable, pour pouvoir acquérir le bien
ou service qu'il souhaitait initialement.
La
Cour de cassation de Paris a jugé que la vente d'ordinateurs avec logiciels
préinstallés, sans possibilité pour le consommateur d'acquérir le même modèle
sans ces logiciels, ne constitue pas, en tant que telle, une pratique
commerciale déloyale. Elle a souligné
que l'absence d'information sur la possibilité d'acquérir un ordinateur sans
logiciels préinstallés ne constitue pas une omission d'une information
substantielle au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation[28].
Cette pratique fausse le libre consentement du consommateur en créant une
situation de contrainte, ce qui contrevient aux principes fondamentaux du droit
de la consommation, à savoir l'obtention d'un consentement libre et éclairé. La
vente forcée prend des formes variées, telles que l'imposition d'une vente
groupée où l'achat d’un produit est conditionné par celui d’un autre, ou la
vente d'un produit à un prix excessif en raison de la contrainte exercée.
En
vertu de la législation marocaine, la vente forcée est prohibée[29],
et tout contrat conclu dans ces conditions peut être annulé. Le consommateur
peut également demander à obtenir un remboursement si des produits ont été
achetés sous la contrainte.
- sanctions et recours
juridiques pour les consommateurs
La
législation marocaine prévoit des sanctions civiles et pénales[30]
contre les pratiques commerciales abusives telles que le démarchage agressif et
la vente forcée. Lorsqu’un consommateur est victime de telles pratiques, il
peut demander l’annulation du contrat et, dans certains cas, réclamer des
dommages-intérêts. Les entreprises qui se livrent à ces pratiques peuvent être
condamnées à des amendes ou voir leurs dirigeants poursuivis en justice.
Il
faut noter que, les consommateurs vulnérables, tels que les personnes âgées,
les malades, ou les individus en situation de précarité, sont particulièrement
exposés aux risques du démarchage agressif et de la vente forcée. La
législation marocaine prévoit une protection spécifique pour ces groupes. Par
exemple, des délais de rétractation plus longs ou des garanties supplémentaires
peuvent être accordés pour protéger leur consentement contre toute manipulation
commerciale. Ces protections visent à garantir que ces consommateurs ne soient
pas exploités dans leur situation de faiblesse.
II.
Les mécanismes de protection
et les recours du consommateur
Dans
un environnement économique en constante évolution, où les pratiques
commerciales se complexifient, la protection du consommateur devient un
impératif juridique et sociétal. Face aux déséquilibres structurels entre
professionnels et consommateurs, divers mécanismes de protection et voies de
recours ont été instaurés pour garantir les droits fondamentaux des usagers du
marché. Cette section se propose d’examiner, dans un premier temps, les
instruments juridiques consacrant le droit de rétractation et de remboursement
(1), véritables garde-fous contre les abus commerciaux. Dans un second
temps, l’analyse portera sur le rôle complémentaire des autorités de contrôle,
de la société civile et des associations de consommateurs (2), notamment
à travers les mécanismes de protection pénale visant à préserver l’ordre public
économique et à sanctionner les pratiques illicites.
- Le droit de rétraction et
de remboursement
Le
droit de rétractation et de remboursement constitue un mécanisme fondamental de
protection des consommateurs, particulièrement dans le cadre des ventes à
distance, des contrats conclus hors établissement commercial, et des pratiques
commerciales déloyales. Ces droits permettent aux consommateurs de se prémunir
contre les erreurs de jugement ou les pressions exercées lors de l'achat de
biens et services, leur offrant ainsi une garantie de pouvoir annuler une
transaction dans des conditions précises. Le cadre juridique marocain, à
travers la loi n°31-08 relative à la protection des consommateurs, garantit ces
droits et encadre les procédures pour renforcer la confiance des consommateurs
dans le marché.
- Le droit de rétractation
: une protection clé des consommateurs
Le
droit de rétractation permet au consommateur de revenir sur son consentement et
d'annuler une transaction dans un délai spécifique après la conclusion du
contrat, sans avoir à justifier sa décision. Ce droit est particulièrement
important dans le cadre des ventes à distance (par téléphone, internet, ou
catalogue) et des contrats hors établissement commercial (comme les contrats de
porte-à-porte).
Au
Maroc, la loi n°31-08 reconnaît ce droit[31] et
précise qu'un consommateur peut se rétracter dans un délai de 7 jour calendaire
à compter de la date de la réception du bien ou de la conclusion du contrat,
sans frais ni pénalités. Ce droit de rétractation vise à protéger le
consommateur qui, souvent, n'a pas eu l'occasion d'examiner les biens ou
services dans des conditions normales de consommation avant de prendre sa
décision.
Exemples
de situations où le droit de rétractation s’applique :
Achats
en ligne : Le consommateur qui a acheté un produit en ligne peut annuler la
vente si le produit ne lui convient pas, sous réserve de respecter les délais
et conditions de retour.
Ventes
à distance ou hors établissement : Lorsqu'un produit ou service a été acheté
après un démarchage[32]
téléphonique ou en porte-à-porte, le consommateur a la possibilité de se
rétracter si la vente a été conclue sous pression ou en l'absence de réflexion
suffisante.
La
jurisprudence marocaine a confirmé ce droit à travers plusieurs décisions. Par
exemple, la Cour d’appel de Casablanca[33] a
reconnu que le dol, c’est-à-dire la dissimulation d’informations essentielles,
peut fonder une demande en rétractation si cette dissimulation a influencé le
consentement du consommateur.
De
même, la Cour de cassation[34]
a jugé que le jugement relatif à une demande de rétractation ne constitue pas
un jugement avant-dire droit, et qu’il est donc susceptible d’appel, renforçant
ainsi la protection procédurale du consommateur.
- Les conditions du droit
de rétractation
Pour exercer le droit de rétractation, certaines conditions doivent être
respectées :
Le
consommateur doit informer le vendeur de sa volonté de se rétracter dans les 7
jours suivant la réception du bien ou la conclusion du contrat. Le produit
retourné doit être dans son état d'origine, c'est-à-dire non utilisé, complet
(emballage, accessoires), et, si possible, avec le ticket de caisse ou la
preuve d'achat[35].
- Les exceptions au droit
de rétractation
Bien
que le droit de rétractation soit un pilier fondamental de la protection du
consommateur, il n’est pas absolu. L’article 38 de la loi n° 31-08 prévoit une
série d’exceptions à ce droit, justifiées par la nature du produit, la
prestation concernée ou le principe de sécurité juridique.
Ainsi,
le consommateur ne peut exercer son droit de rétractation dans les cas suivants
:
- Lorsque la prestation de
services a commencé, avec l’accord exprès du consommateur, avant la fin du
délai de rétractation.
- Lorsque le bien ou
service porte sur des produits financiers dont le prix varie selon des
facteurs de marché incontrôlables.
- Lorsqu’il s’agit de biens
personnalisés ou confectionnés selon les spécifications du consommateur,
ce qui rend leur revente impossible.
- Pour les biens
périssables ou susceptibles de se détériorer rapidement, afin de préserver
la qualité du produit et la sécurité du consommateur.
- En cas de descellage par
le consommateur de logiciels, CD, DVD ou tout autre support numérique, car
l’intégrité du produit ne peut être garantie.
- Lors de la fourniture de
journaux, périodiques ou magazines, sauf en cas d’abonnement conclu à
distance.
Ces
exceptions visent à éviter les abus tout en protégeant l’économie des
fournisseurs. Elles ont été confirmées par la jurisprudence marocaine,
notamment dans deux arrêts importants :
Dans
l’arrêt n° 78 du 8 février 2023, la Cour de cassation a affirmé que toute
modification législative, y compris en matière de protection du consommateur,
ne s’applique pas rétroactivement aux contrats déjà conclus. Cette position
renforce le principe de sécurité juridique[36].
Par
ailleurs, dans une décision du 2 février 2023, la Cour a rappelé que le droit
de rétractation est réservé aux consommateurs non professionnels, excluant
ainsi les professionnels qui acquièrent des biens pour leur activité économique[37].
- Le droit au remboursement
Lorsque
le consommateur décide d’exercer son droit de rétractation dans les délais
légaux, le fournisseur est tenu de lui rembourser l’intégralité des sommes
versées. Ce remboursement doit intervenir dans un délai maximum de quinze jours
à compter de la date à laquelle le vendeur a été informé de la décision de
rétractation.
Si ce
délai est dépassé sans que le consommateur ait été remboursé, des intérêts
légaux s’appliquent automatiquement sur les sommes dues, sans qu’il soit
nécessaire pour le consommateur d’en faire la demande ou d'engager une action
en justice[38]. Cette mesure vise à renforcer la confiance du
consommateur en lui garantissant qu’il peut récupérer son argent si la
transaction ne répond pas à ses attentes.
Arrivée
à ce point on peut dire que, le droit de rétractation et le droit au
remboursement sont des éléments clés dans la protection des consommateurs au
Maroc. Ils garantissent que le consentement des consommateurs aux contrats de
consommation soit libre et éclairé, et qu’ils puissent annuler une transaction
si les conditions de la vente ne sont pas conformes à leurs attentes ou si des
pressions abusives ont été exercées. Ces mécanismes juridiques jouent un rôle
majeur dans la confiance des consommateurs et dans la régulation des pratiques
commerciales, en permettant aux consommateurs d'exercer leur droit de manière
claire et efficace.
- Le rôle des autorités de
contrôle, de la société civile et des associations dans la protection
pénale du marché et des consommateurs
La
protection pénale du marché et des consommateurs s'inscrit dans une dynamique
de moralisation de la vie économique et de promotion de la transparence. Ce
dispositif n'est plus exclusivement réservé à l'Etat : il implique aujourd'hui
plusieurs acteurs, notamment les autorités de contrôle, la société civile et
les associations. Leur rôle est devenu crucial dans la prévention, la détection
et la répression des infractions économiques.
- Le rôle des autorités de
contrôle dans la protection pénale du marché
- Surveillance et détection
des infractions
Les
autorités administratives indépendantes telles que (AMMC)[39], le
Conseil de la Concurrence et Bank Al-Maghrib jouent un rôle fondamental dans la
régulation et la surveillance du marché. Elles détectent les pratiques
illicites comme les délits d'initiés, les manipulations de cours, les ententes
anticoncurrentielles ou encore les abus de position dominante[40].
- Coopération avec les
autorités judiciaires
Ces
institutions coopèrent étroitement avec le ministère public en transmettant
leurs rapports d'enquête, ce qui permet d'engager des poursuites pénales contre
les contrevenants. Elles peuvent également être entendues en tant qu'experts
lors des procès ou être consultées pour l'élaboration de politiques
répressives.
- La société civile et les
associations : acteurs de vigilance citoyenne
- Rôle d'alerte et de
dénonciation
Les associations de protection des consommateurs et de lutte contre la
corruption[41]
reçoivent les plaintes des citoyens, enquêtent et signalent les infractions aux
autorités compétentes. Leur mission est d'autant plus importante que certaines
pratiques illégales échappent au contrôle administratif classique.
- Action en justice
La
loi 31-08 permet aux associations reconnues d'utilité publique d'agir en
justice pour la défense de l'intérêt collectif des consommateurs, y compris
devant les juridictions pénales[42].
Cette capacité renforce le contrôle citoyen sur les comportements commerciaux
abusifs ou frauduleux.
- Sensibilisation et
plaidoyer
Au-delà
de leur rôle juridique, ces associations sensibilisent les consommateurs à
leurs droits et interpellent les pouvoirs publics sur les carences législatives
ou institutionnelles, contribuant ainsi à une meilleure gouvernance économique.
- Limites et perspectives
de l'action des acteurs non étatiques
Malgré
leur rôle crucial, les autorités de contrôle et les associations font face à
plusieurs défis. Parmi les principales limites figurent le manque de moyens
humains et financiers, la difficulté d'accès à l'information économique, ainsi
qu'une coordination insuffisante entre les institutions publiques et les
organisations civiles.
Toutefois,
des perspectives prometteuses s'ouvrent : la mise en place de plateformes de
coopération interinstitutionnelle, la formation des acteurs de la société
civile aux mécanismes juridiques et économiques, ainsi qu'une réforme des
textes juridiques pourraient renforcer leur efficacité. Une meilleure
reconnaissance de leur rôle et une intégration plus systématique dans le
processus pénal contribueraient significativement à la moralisation du marché
et à la protection des consommateurs.
Conclusion
La
protection juridique du consommateur au Maroc, à l’ère d’un marché libéralisé,
révèle une volonté normative louable, mais une effectivité encore partielle.
L’analyse de la protection du consentement montre que l’encadrement juridique
des pratiques abusives reste tributaire de moyens de contrôle plus rigoureux et
d’un accès facilité à la justice. Quant aux mécanismes de recours, ils
souffrent d’un manque de mise en œuvre concrète et d’un déficit de
sensibilisation des citoyens à leurs droits.
Ainsi,
les perspectives d’amélioration résident dans :
-
la spécialisation des juridictions en droit de la
consommation,
-
le renforcement du rôle des autorités de contrôle
et des associations de consommateurs,
-
et l’adaptation continue de la législation aux
évolutions du commerce, notamment numérique.
[1] S. BERNHEIM-DESVAUX, «
Le droit de la consommation, entre protection du consommateur et régulation du
marché », Revue Le Lamy Droit des Affaires, n° 69, 1er mars 2012, p. 91.
[2] Aïda LFERKLI
L’équilibre contractuel vu à travers le droit de la consommation in : revue
marocaine d’administration locale et de développement ; avril 2014 n°115,
université Mohamed V, AGDAL-Rabat. p. 136.
[3] LAMYAE SAHRANE, lecture
de la loi 31-08 sur la protection du consommateur: apports et insuffisances.
In, la revue de jurisprudence civile, 2014, p .5, 6.
[4] Bakkali, Samira,
“Spécificités du droit de la consommation face aux branches du droit des
affaires.” Revue Juridique Marocaine, vol. 6, no. 1, 2020, p. 43–60.
[5] HAMMOUD May, La
protection du consommateur des services bancaires et des services d’assurance,
Thèse de doctorat, Université Panthéon-Assas, décembre 2012, p. 214.
[6] Rouini Najoua, NARJIS
SAAD ISMAIL « La publicité comparative : un enjeu commercial de
taille », RDCEC https://revues.imist.ma/index.php/rdcec Vol 4, n°1, 2023,
p. 101.
[7] El Amrani, Salma. “Le
rôle du droit pénal dans la régulation du marché et la protection des
consommateurs.” Revue Marocaine de Droit et d’Économie, vol. 11, no. 2, 2019,
p. 112–130.
[8] J.-D. PELLIER, Droit de
la consommation, Dalloz, 2016, p. 2.
[9] Thibaut Aznar, La
protection pénale du consentement donné par le consommateur, Thèse pour obtenir
le grade de docteur, Spécialité : Droit privé et sciences criminelles,
Université de Perpignan, 2017, p. 13.
[10] El Mostafa Naciri, Loi
sur la protection du consommateur: Un nouveau jalon dans l'édifice du droit de
la consommation, l'Opinion, 11-06-2011.
[11] Cass. crim., Fr. 12
janvier 2000, pourvoi n° 99-81-057 arrêt n°390.
[12] CA., 3ème chambre, 21
janvier 1999.
[13] Cass.fr. Crim., 5 Août
1997, BID nº 4/1998, p. 48.
[14] CA.fr. Paris, 9
novembre 1994, BID n°10/1995.
[15] CA, Grenoble, 2
novembre 1995 n° 74.
[16] CA, Angers, 19 avril
1988, jurisdata n° 044948.
[17] Cour de cassation,
Chambre criminelle, 16 Novembre 2011, n° 10-87.629
[18] Cour d'appel de Paris,
6 février 2009, n° 07/11726.
[19] 4. Cour d'appel de
Grenoble, 8 septembre 2009, jurisdata n° 2009-017162.
[20] Cour d’appel de Douai,
7 novembre 2002
[21] Cour d’appel de Rennes,
13 octobre 2023, RG n° 21/00297
[22] Article 59 de la loi
31-08 sur la protection des consommateurs.
[23] Article 36 de la loi
31-08 sur la protection des consommateurs.
[24] Article 33 et 50 de la loi 31-08 sur la protection des
consommateurs.
[25] Article 50 de la loi 31-08 sur la protection des
consommateurs.
[26] Cass. Crime.
10.01.1996, n°95-80993
[27] Article 49 de la loi 31-08 sur la protection des
consommateurs.
[28] Cass. 1 re chambre
civile, arrêt du 29 mars 2017, n° 15-13.248, Paris.
[29] Article 52 de la loi
31-08 sur la protection des consommateurs.
[30] Article 552 du Code
pénal marocain punit l'abus des besoins, des passions ou de l'inexpérience d'un
mineur de vingt et un ans ou de toute autre personne incapable ou interdite,
pour lui faire souscrire, à son préjudice, des obligations, décharges ou autres
actes engageant son patrimoine.
[31] Article 36 de la loi
31-08 sur la protection des consommateurs.
[32] Article 49 de la loi
31-08 sur la protection des consommateurs.
[33] Cour d’appel de
Casablanca, Arrêt du 17 juin 2004 (n°1271/2003).
[34] Cour de cassation,
Arrêt du 8 février 2001 (n°921/77).
[35] Bien que la loi n°
31-08 ne détaille pas explicitement les conditions de retour, il est
généralement admis que le produit doit être retourné dans son état d'origine,
complet (emballage, accessoires) et, si possible, accompagné de la preuve
d'achat.
[36] Cour de cassation,
chambre commerciale, arrêt n° 78 du 8 février 2023, dossier n° 2022/1/3/927.
[37] Cour de cassation,
chambre commerciale, arrêt du 2 février 2023.
[38] Article 37 de la loi
31-08 sur la protection des consommateurs.
[39] Autorité Marocaine du
Marché des Capitaux
[40] Article 36 de la loi
n°43-12 donne à l'AMMC le pouvoir de saisir le parquet lorsqu'elle constate des
faits susceptibles de constituer des infractions pénales
[41] comme Transparency
Maroc ou l'Association Marocaine des Droits des Consommateurs (AMDC)
[42] Article 9 de la loi
31-08 sur la protection des consommateurs
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